Sébastien Porte
Branle-bas de combat au Pavillon Mazar. Menacé d’expulsion, le Groupe Merci, compagnie phare toulousaine, se bat pour rester dans ce lieu patrimonial qu’il occupe depuis 1997 en plein centre ville. Le monde culturel local se mobilise. L’issue du dernier round dépend de la capacité des pouvoirs publics à réagir.
Les « objets nocturnes » du Groupe Merci vont-ils se dissoudre définitivement dans la nuit culturelle qui s’abat sur la Ville rose ? « Objets nocturnes », c’est le nom que la compagnie toulousaine donne aux créations que, depuis vingt ans, elle élabore dans son « laboratoire des arts scéniques » du centre ville, le Pavillon Mazar.
Des objets aux contours singuliers, innovants, dérangeants, où le rituel de la représentation est chahuté en permanence, en révolte contre le clivage frontal traditionnel scène/salle. Des objets à l’image de l’atelier où ils se façonnent, un grand ring entouré de bancs et de mezzanines, où le public peut « se regarder regarder », et où les maîtres de céans, Solange Oswald (metteuse en scène) et Joël Fesel (plasticien), fondateurs de la compagnie, peuvent donner libre cours à leur grande obsession : densifier la rencontre entre l’acteur et le spectateur.
L’expérience théâtrale y est vécue par le biais de l’immersion, du gros plan, de la déambulation (une promenade dans un cimetière dans La Mastication des morts, une galerie performative dans Colère !, une installation foraine dans Europeana)… Quant au bâtiment, un ancien marché aux draps de 1826 classé monument historique, on le découvre tapi dans un îlot du quartier de la Bourse. Un antre artistique hors du temps qui, avec ses arcades en brique, ses planchers décatis, sa cour intérieure tout de guingois, pourrait presque faire songer aux théâtres élisabéthains du Londres de Shakespeare.
Depuis Les Tristes Champs d’Asphodèles, qui avaient inauguré avec fracas l’arrivée de la compagnie dans ces murs, en 1997, le public toulousain avait donc pris l’habitude d’être secoué par ces objets théâtraux non-identifiés. Soit en assistant à leur gestation lors de chantiers portesb ouvertes, soit en découvrant le résultat, in situ ou ailleurs dans la ville, avant qu’il ne s’envole vers d’autres cieux. Mais voilà que le Pavillon Mazar est en danger.
Scénario classique : le propriétaire veut vendre, et la compagnie, qui en est locataire, n’a pas les moyens d’acheter. Depuis plusieurs mois, elle multiplie les recours juridiques et les appels à l’aide, ce qui lui a permis de constituer un important réseau de soutiens qui va du TNT (Théâtre national de Toulouse) au Sciences Po local, en passant par les autres acteurs culturels de la région, des élus, et même un membre du Conseil constitutionnel.
Ce scénario n’est pas sans rappeler celui de l’historique et très populaire librairie Castéla, sur la place du Capitole voisine, qui avait dû fermer en 2012 sous l’effet de la pression immobilière, et ce malgré une mobilisation massive. Elle a été remplacée depuis par des enseignes de multinationales du café ou du prêt-à-porter.
Merci, prochaine victime de l’uniformisation d’un cœur de ville qui, à Toulouse, ressemble de plus un plus à un hall d’aéroport mondialisé ? L’affaire n’est pas si simple. « On paye les pots cassés de la gentrification, assure Joël Fesel. Les propriétaires ont cru qu’on était des saltimbanques, qu’on allait fuir sans résister et qu’ils pourraient vendre le lieu à un opérateur de téléphonie mobile ou faire un loft. Mais la guerre a été sanglante. »
Et le bilan de la première bataille (judiciaire) est globalement positif. Les différents recours ont permis de faire confirmer la vocation théâtrale du site, en vertu d’une ordonnance de 1945. Mazar est donc « sanctuarisé » en tant que lieu de théâtre. Cependant, la vente n’a pas été cassée. En attendant de savoir dans quelles conditions (financières) elle sera expulsée, la compagnie manœuvre dans l’espoir que la ville ou la métropole rachètent les murs et la laissent dedans.
Dans la nouvelle bataille (politique, cette fois) qui reste à mener, la balle est donc, pour l’heure, dans le cabinet du maire Jean-Luc Moudenc. L’issue dira si le Groupe Merci, comme Royal de luxe avant lui, devra déménager dans une ville plus accueillante. Ou s’il pourra continuer de façonner ses « objets nocturnes » dans son pavillon de la cité des Capitouls.
http://www.telerama.fr/scenes/a-toulouse-le-groupe-merci-une-compagnie-en-sursis,143075.php