Une hétérotopie pour le théâtre.

« Quelques mots sur ce port d’attache : le Pavillon Mazar au numéro 13 de la rue Sainte Ursule à Toulouse donc.
Un coin du monde ? Un monde dans un coin de Toulouse ?

Quelques souvenirs pour commencer.
Il n’y avait pas de chauffage à Mazar au tout début et on pouvait entrer par l’escalier en colimaçon sur le côté et il y avait des clous sur les piliers et on ne pouvait pas faire le noir.
Aujourd’hui, il y a le chauffage. On a enlevé les clous. Les piliers tiennent toujours. Et on peut faire le noir.

On peut donc faire surgir du théâtre à Mazar.
Mais Mazar n’est pas qu’un théâtre.

Car il y a des questions qui sont sans lieu. Hors lieu. De nulle part. A côté.
Des questions sur le théâtre, sur les lieux du théâtre mais aussi ses non-lieux, et puis sur les lieux pour les questions.
Sur d’autres lieux.

Des hétérotopies pour le théâtre. Pour qu’il surgisse autrement.
Des hétérotopies pour les questions. Pour qu’elles rencontrent autre chose. Pour qu’elles se croisent.

Le Pavillon Mazar, je peux dire que c’est d’abord un lieu de rencontre, un autre lieu pour partager des lectures, une hétérotopie pour croiser des lectures – théâtre, poésie, philosophie, histoire, politique, économie, psychanalyse –  pour partager des questions, des questions de forme théâtrale qui sont aussi des questions politiques, des questions dramaturgiques qui sont aussi des questions philosophiques, des questions philosophiques qui sont aussi des questions sensibles, et qui peuvent trouver une sorte de conclusion provisoire dans des formes théâtrales nocturnes ouvertes au partage avec un public.

Un lieu de rencontre. Une bibliothèque. Un petit théâtre. Un grenier à rêveries. Un atelier à questions.

Alors, le Pavillon Mazar, c’est aussi cela : un lieu pour se mettre soi-même en régime de crise, pour se réinventer un peu autrement.
Peut-être en métissage.
Mais surtout en intranquillité.

Car ce petit monument secret au cœur de Toulouse, c’est aussi cela : un lieu hospitalier pour partager des inquiétudes, des intranquillités. Un îlot préservé pour ne pas s’asseoir trop vite, bien au chaud, et pour maintenir vives et vivantes les tensions :

  • territorialisation // déterritorialisation
  • visibilité // clandestinité
  • institutionnalisation // laboratoire atypique
  • recherche de moyens de production // chantiers improductifs
  • dates de représentation // rendez-vous pour des explorations, des expérimentations.

Tensions qui sont autant de questions à la fois esthétiques et politiques, et bien sûr économiques aussi, mais sans lesquelles ce laboratoire pour la scène cesserait d’en être un.
Utopie ?

Mais alors, mais alors, qu’est-ce que ce lieu peut devenir ?

Ce laboratoire, s’il résiste, s’il persiste, s’il persévère dans son être, deviendra autrement ce qu’il a toujours été.
C’est le génie du lieu. Son empreinte. Sa fidélité.

Une aventure obstinée comme l’amour.
Un lieu de rencontres, de croisements, de convergences.
Une bibliothèque métissée.
Un port d’attache et pas un relais postal.
Un théâtre de questions. Un théâtre de l’intranquillité, de la non-réconciliation.
Un laboratoire pour la scène.
Une manufacture de nouveaux sièges pour le théâtre.
Un atelier de confection d’objets nocturnes pour les lucioles.
Un îlot pour s’exposer dans le noir aux questions qui nous maintiennent éveillés.
Une hétérotopie peut-être pour la philosophie, pas pour un théâtre philosophique mais sans doute pour des questions philosophiques.
Une hétérotopie certainement pour le théâtre, pour que le théâtre ne cesse pas d’être un laboratoire.
Une sorte d’utopie concrète.
Une histoire d’amitiés.

Un lieu pour ne pas être condamnés à l’a-topie, à l’absence de lieu ! »

Marie-Laure Hee – Professeur de philosophie et Dramaturge